« Un livre n’est pas un
cimetière, et s’il l’est toutefois, c’en est un où les morts pensent », nous
dit notre grand écrivain haïtien, l’académicien Dany Lafferière. Il existe dès
lors mille et une manières pour entrer dans un livre. Tandis que moi, dans ma
quête perpétuelle de liberté, j’ai plutôt choisi d’y pénétrer de la manière la
plus simple : à la manière de l’araignée sauteuse. Bref à ma guise. C’est-à-dire,
sauter dans les pages du livre, comme pourrait bien le faire l’araignée. Et je
saute évidemment… Je lis une page, je médite, avant de sauter dans l’autre. Et
ce fut donc ainsi. Ainsi de suite… Comme pour refuser de lire un tel livre à
cheval, ou de le galoper dans le sens le plus absurde, le plus banal des
choses. Et il est des ouvrages qu’on respecte, méritant d’être lus à pas de
chat, avec autant de vigilance qu’il faut. En effet, « La Boutique du bourreau
de mon rêve », ce
formidable roman de mon ami Getchens Mathurin, est de cette
catégorie de livres. Et j’ai eu alors du plaisir à danser dans les pages de ce
beau bouquin, paru en France aux Editions Jets d’Encre, en mai 2013.
Ce roman s’inscrit dans le cadre
d’une notion pure de la vie, une vision tout à fait philanthropique du monde,
malgré toute l’horreur de la planète. Par conséquent, l’auteur y prône un altruisme
pratique, et non un humanisme au concept desséchant, au sens théorique, ou au
sens idéaliste du terme. L’auteur y met
en évidence les véritables vicissitudes de l’existence, propose donc quelque
chose de concret. Le souci de l’autre y
trouve sa place, bat son plein, devient philosophie, la plus authentique
philosophie humaine, le vrai moteur même qui fait tourner la vie, la fait
bouger, croître, grandir, fleurir dans tous les sens, ou dans son sens le plus
normal, le plus digne des valeurs humaines. Je ne peux m’en empêcher de
magnifier cette subliminale démarche universelle, atteignant son paroxysme.
L’histoire se déroule en Haïti,
dans le quartier des Nègres-Fragiles vraisemblablement à la fin du XX ème
siècle. L’écrivain nous conte le récit de monsieur Philipe Mathieu : ce
boutiquier hyper sensible, un homme illuminé par de la force positive qui tend
la main aux nécessiteux du village, à tous ces enfants démunis et sans issues
aucunes. Son grand père, de qui il
serait hérité en partie de ces gênes de générosité, parle ainsi à ses enfants par ces termes providentiels :
« Que cette boutique, après ma mort ne soit pas un instrument destiné à amasser
des bénéfices injustes sur le dos de ces malheureux. Son objectif n’est pas et
ne sera jamais de faire de vous ou de vos descendants des commerçants enrichis,
des businessmen bien assis dans le fauteuil du capital, sous lequel survivent
de malheureux paysans ». Et tout ça ce n’est pas tout, il en ajoute : « Elle
n’est donc pas pour vous, mais pour votre prochain. Vous et vos descendants
devrez préserver son existence contre vents et marées. D’ailleurs, vous feriez
bien de vendre vos terres dans cet objectif ». Mais quoi de plus intéressant !?
L’âme de l’écrivain est dans son œuvre.
Malheureusement il y en aura
toujours un salaud pour troubler l’ordre des choses, dans la dimension la plus
sinistre. Et qui est donc Foster sinon que la représentation du mal, un assassin qui est troublé par l’usage qu’il
devrait faire de ses rêves comme l’aurait l’être un homme de bien. L’un et
l’autre avec de différentes réactions. Il parle ainsi en ces propos, comme pour
justifier les cafards de sa tête : « Oui, mais moi, je crois à mes rêves.
Ils ne me mentent jamais. J’avais même vu en rêve l’accident qui allait ôter la
vie à ma mère ! J’avais également vu en rêve deux grands pigeons frapper
les tours jumelles du World Trade Center, bien avant le 11 septembre. Mes rêves
sont prémonitoires. Ils m’annoncent des événements qui se produisent vraiment
ensuite ». Ouf ! Et le pauvre con surnomme l’homme de cœur : « le
bourreau de mon rêve ». Il y persiste encore, comme pour s’en vautrer dans sa
démence la plus putride : « En tout cas, pour moi, ce visage détesté dès que
je l’ai vu, qui est aussi celui du coupable qui me brutalisait dans mon rêve,
est à présent ce que je hais le plus au monde, et l’homme qui a ce visage
mourra. Je ne souhaite pas endurer dans la réalité le sort que j’ai connu dans
mon sommeil. Aussi, pour cette raison, tuer ce monsieur est la décision la plus
prudente que je puisse prendre ». Alors, avec ce roman on peut se poser la question de savoir ‘’quelle part
de prémonition nos rêves nous apportent ?’’ Quelle part de réalité et
quelle mise en garde? Et à sa façon, l’auteur nous répond de si belle manière.
En somme, ce qui m’intrigue le
plus aussi dans ce roman, c’est cette scène merveilleuse, inattendue, cet
exceptionnel dénouement qui n’est qu’une preuve d’une grande humanité et de
grandeur d’âme. N’est-ce pas avant tout ces éternelles valeurs qui permettront
à la planète de mieux respirer ? J’ose le croire.
En profitant de décrire un peu la
réalité sociale de ce qu’un intellectuel haïtien appelait autrefois ‘’ Le pays
en dehors’’, l’auteur transmet en même temps un message d’humanité et d’amour
et donc universel. C’est un grand livre dans tous les sens. Il est écrit avec
un tel éclat, une telle précision et concision, une telle profondeur d’esprit
et une telle aisance particulière de la part de l’auteur. Je l’avoue donc
publiquement avec toute ma probité intellectuelle. Je n’ai qu’à souhaiter donc
bon vent à l’auteur, et à cet ouvrage qui n’en sortira jamais de ma mémoire,
mon for intérieur le plus intime.
Et à vous chers lecteurs, je vous
recommande plutôt de commander ce bouquin, sur le site des Editions Jets
d’Encre. Pensez-y !
Désormais, le roman que j’aime
est « La Boutique du bourreau de mon rêve », le grand roman de Getchens
Mathurin.
© Raynaldo Pierre Louis,
Poète-Ecrivain,
République Dominicaine,
Vendredi 11 juillet 2014