Denise Bernhardt |
Dans ce nouveau recueil, Raynaldo Pierre Louis nous
offre un cadeau précieux : un kaléidoscope, de couleurs fauves, sans doute
par allusion au mouvement pictural français né au début du 20ème siècle.
Dans ses jeux de miroirs fragmentés, RPL décompose et
recompose l’arc-en-ciel de ses émotions, de ses dégoûts comme de ses
émerveillements en passant par les vertiges toujours recommencés de ses rêves.
C’est un poète rimbaldien, il ne saurait s’en défendre
même si « le Bateau ivre » devient galiote, et si le fleuve se fond
dans l’infini des océans. Le kaléidoscope se prête à des jeux intellectuels
allant de la matière immuable à la multiplicité de ses manifestations, le tout
par les métamorphoses initiées d’un léger mouvement de la main.
Ainsi RPL déroule ses états d’âme à travers les
stimulations de la nature, le poids insupportable du réel, et les circonvolutions
de ses spasmes intérieurs, il y met ses tripes et ses rêves, toutes les larmes des jours.
Le ton est donné d’emblée par cette citation de Pierre
Reverdy :
« Le rêve du poète c’est l’immense filet aux
mailles innombrables qui drague sans espoir les eaux profondes à la recherche
d’un problématique trésor. »
Pour exorciser son mal -être RPL fait appel à des symboles
magiques comme celui de « l’oiseau migrateur » image d’évasion et de délivrance. Il s’en
remet aux pierres précieuses dont nous connaissons les pouvoirs :
« ces pierres mythiques qui lapident la nuit » car les pierres ont
toujours eu un effet bénéfique sur ceux qui les portent.
Oiseau magique,
pierres mystiques, le poète s’entoure aussi de beauté et de lumière, la nature
le bercera de fleurs :
« J’apporte
ici
Mes lampes jaunes
Et que les eaux
s’allument
Dans mes lumières soûles
»
La lampe, le Génie
de la lampe qui exauce les vœux, apaiseront-ils les tourments du poète ?
Il faut
absolument :
« que
l’oiseau chante
Pour la romance
des fleurs »
Cependant le serpent est là, le mal fait partie de
l’existence.
« alors le poison
du serpent circule dans le ventre de la nuit ». Commencent pour le poète mille métamorphoses : beauté
de l’île intérieure où vivent les fleurs, la douceur, les heures bienheureuses
qui effacent les griffures des nuits.
Dans ce monde
onirique se glissent des évocations mystiques plus précises :
« les
pierres d’améthystes /des chevaux blancs »
Tels ceux décrits
dans l’Apocalypse de Jean . Dans chaque être humain sommeille un rêve de lumière,
qui vaincra à jamais les ténèbres. L’auteur oscille entre rêve profane et
voyage astral :
« j’oublie
mon corps quelque part
Et je pars…..
Et je baise les
lueurs astrales »
Mais quelle
apparition est plus féerique que celle de l’ange de l’Apocalypse quand le doute
submerge l’âme et que la mort fait le guet :
« je porte
en moi
La sensation des
fleurs suicidées »
A cet instant du
recueil, et avec le poème :
« Les
fleuves porteront mon visage »
S’élève une voix
rimbaldienne qui évoque :
« les fleuves
m’ont laissé descendre où je voulais »
d’Arthur Rimbaud .
Raynaldo Pierre
Louis décline également le poème de la mer tout ruisselant d’étoiles et de
« vagues aléatoires ». Son élément est l’eau de l’inconscient sublimée
par la réverbération de l’azur.
Il se fait
batelier « entre deux ciels » entre une voile blanche et l’autre
noire . Comment mieux exprimer la dualité de l’être.
Quel est le fil
d’Ariane qui relie les délires du poète ?
Voyance inévitable
fixée dans les legs de la mythologie :
« mes cent yeux
semés sur la queue du paon »
Qui nous font
penser aux cent yeux du berger Argos.
Voyance et
ivresse, car RPl voyage dans la
fascination des « poètes maudits » du 19ème siècle français. Ce
n’est pas l’absinthe, la fée verte, qui le transporte dans les mondes cachés,
mais Bacchus qui préside à ses ivresses
« derrière
la porte de l’aurore ».
L’auteur possède
également le sens des métaphores magiques et percutantes :
« pourquoi
cette danse manigancée des abeilles
Dans les reins mouvants
des étoiles ».
Abeilles qui sont
autant de signes d’or tourbillonnant dans le cœur tourmenté du poète qui ne
rêve que d’évasions. Fuir son île, ses vomissures, ses contorsions, ses
provocations ne pas devenir fou, des navires l’attendent pour cingler vers des
terres inconnues. Le poète insulaire s’embarque vers les îles chantées par
Homère, pour trouver au pied des mausolées blancs, l’intense baiser bleu des
mers.
Baiser qui guérit
d’inguérissables blessures… ô se laisser glisser au fil des eaux pour
étouffer les cris de la souffrance, et les hurlements fauves d’anciennes
déchirures :
« Moi
Je rature mon
adresse
Je brûle mon
prénom
Mon nom
Mon passeport
Et sans identité
Sans corps
Sans visage
Je voyage dans
l’imaginaire des pages ».
La nuit tombe, la
lampe jaune s’éteint, plus rien pour indiquer le chemin du pur amour. Sentiment
qui n’est pas le propos de ce recueil mais il brode en filigranes, son manque,
sa recherche, tout ce qui est essentiel à l’humain.
Dans un avenir
proche, je vois les étudiants à peine plus jeunes que l’auteur, se pencher sur
ses textes, et les critiques littéraires user leurs plumes à tenter de les
décrypter.
Honneur et
Respect,
Raynaldo Pierre Louis
© Denise
Bernardt
Le 10 Décembre 2014
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