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Raynaldo Pierre Louis |
Il n’y a pas de plus pur instant que
lorsque le silence du soir plane tendrement dans les parages, à même d’éveiller
et envoûter ma mémoire somnambule. Ma plume loufoque et farfelue vole et
s’envole dans son fol élan jubilatoire, quelque peu timide. Mon âme vogue
légèrement sur une frêle pirogue et rêvasse à n’en plus finir sous les auspices
de la nuit. À dire vrai, Aurore ne tardera pas à ouvrir les portes de l’Orient
pour qu’Hélios, dans ses éclats dorés, illumine les bords de l’horizon. Alors,
pour l’instant, je ne suis qu’un minuscule point en mouvance, un faible point
dans l’espace, un atome qui divague, un électron plus ou moins libre, en voyage
entre les intervalles de la nuit et le lever du jour. Mais à quoi
pensé-je donc ce soir? À qui ? Lamentablement, mon âme ne saurait se
soumettre à pareille interrogation. Finalement, qu'importent mes pensées, et
qu'importent leurs errances!
Probablement à cet amalgame de souvenirs
aigres-doux qui s’entassent pêle-mêle, bras dessus, bras dessous, en ma
mémoire. Trop de souvenirs tachés, cachés dans le linceul de
l’Inconscient, confus dans une mémoire trop pesante et extravagante, qui
ce soir, se veut incontestablement rétrospective. En effet, faire le
bilan du passé, interroger sa longue et rude trajectoire existentielle au
regard du présent, est peut-être une urgence à laquelle on doit au moins
accorder quelques minutes de réflexion...
Hélas! Ce passé, quel est donc son usage?
Quelle importance capitale conférer à cette modalité temporelle dans
l’existence si l’on omet la sagesse populaire? « le passé nous suit
toujours » et que « le temps mange la vie
» (Baudelaire, L’Ennemi, Les Fleurs du Mal) ? Le passé aurait-il des
pieds ? Le temps, possède-t-il des incisives, des canines et des
molaires ? Je ne le saurais ! Mais, qu’est le passé, qu’est le temps,
qu'est le présent ?
Sans aucun doute, c'est bien au présent
que je rédige ce texte! Et pourtant, déjà ces lignes s’inscrivent dans
les archives du passé. Conjecturons donc à cet effet que le passé et le présent
(le futur aussi) ne sont qu’apparemment ou symboliquement que des voisins,
condamnés à vivre côte à côte, et à s’entrechoquer ou s’harmoniser, suivant
l’agencement des choses et/ou des pions posés par l’homme, tout en tenant
compte des accidents de l’histoire et la façon dont nous les percevons. La vie
n’est pas un spectacle cinématographique où scènes et images défilent à
loisir. Car, ignorer les accidents de l’histoire c’est effectivement avouer ne
pas connaître, ne pas comprendre, ne pas saisir l’existence dans toute sa
complexité et sa dimension anarchique. Le cours de l’existence, loin d’être un
fleuve tranquille, s’apparente davantage à une mer houleuse, avec ses grosses
vagues, ses tempêtes déchaînées, ses flux et ses reflux. Les accidents, aléas
auxquels il faut se soumettre, nécessité oblige, nous n’y pouvons rien.
Retournons donc au passé !
D’ordinaire, notre passé est conçu
tel un lieu de géhenne, de supplices, de tortures... angoissant, épouvantable,
eschatologique. La cause ? S'il est avéré que le présent engendre le
passé, on peut alors émettre l’hypothèse que c’est peut-être parce que nous
n’avons toujours pas su faire un bon usage du présent, faire les choix
judicieux, au moment opportun. D’où notre sainte horreur du passé, au
profit de notre perpétuelle projection vers le futur, notre obsession de
l’avenir comme seule issue, comme source d’espoir et de consolation. Or, cela
aussi est méprise, évidente erreur, puisque la vie ne se vit pas au futur
mais dans l’urgence de l'immédiateté, dans la jouissance dynamique et
ponctuelle de l’instantanéité. Mais toujours et encore, notre négligence, notre
infantilisme mental nous poussent à reproduire les mêmes schémas existentiels.
Prendre un passé ténébreux pour miroir, comme référence, c’est
s’effilocher au fil des heures et construire un échafaud sur lequel on se
crucifie, s’écartèle ontologiquement jour après jour.
Cesser de percevoir son passé comme un
épisode négatif ou comme un film où toutes les horreurs sont possibles, c’est
l’accepter en tant que partie intégrante de sa vie, inhérente à la vie
elle-même. La dépréciation du présent, accompagnée de l’horreur du passé,
doublée d’une forte obsession du futur, ne s’inscrivent que dans un processus
d’empoisonnement et d’envenimement de la vie. Ne pas être en paix avec le
présent, (seul espace de liberté, de jouissance, d’action) et le passé, suppose
en effet, ne pas être en paix avec son essence fondamentale, car le présent est
tout ce qui est, et le passé occupant et constituant la part archivée de notre
existence…
L’ « amor fati » nietzschéen semble hors
de portée lorsqu'il n'est pas conçu dans l’esprit des Stoïciens : « Homme, tu es le seul dieu assez puissant
pour te rendre heureux. Sois à toi-même ton propre maître et ton esclave.
Entraîne-toi à tout surmonter, c’est de la boue et de la souffrance que
naissent les âmes fortes.» (Diogène de Sinope)
Être austère envers soi-même, tâcher
d’être fidèle à ses convictions, ses aspirations et ses passions, ne mettre
personne au-dessus de ses propres lois, bref, tâcher d’être fidèle à ce que
l’on est réellement, authentiquement, voilà avec quoi bâtir vigoureusement un
noble trajet existentiel qui implique rudesse et hardiesse psychologiques. Et
si l’on s’y met avec toute la détermination que suppose tout travail assidu, la
« grande santé » nietzschéenne est alors accessible.
À présent, mon âme, de cet air frais, fais
en tes délices, réjouis-toi de ces cris d’oiseaux, exulte-toi de ce pur et
simple instant où la sérénité t’est offerte. Poursuis sans relâche ta quête
d’ataraxie, en tout et partout, ne sois pas dans la démesure ô mon âme, sois
dans la mesure, le simple et noble, voilà l’équation minimaliste du bonheur. À
présent, j’apprends... Et si la conscience peut se définir comme vigilance
psychique, alors je tâche d’être vigilant en tout lieu et en tout temps, afin
de garder invariablement ma conscience en éveil. Ainsi, J’apprends, à chaque
occasion. J’ai bien compris, tout m'est leçon... la
vie est fugace de part en part : amis, femmes, familles et autres vanités
insignifiantes. J’apprends. J’entends. Je vois. Je pense. Je note. J’écris,
puis j’avance… Et ma Sagesse tragique me tient
encore debout dans les lumières du monde.
© Raynaldo Pierre
Louis,
Poète
et écrivain,
Jacmel,
(Platon-Gosseline),
Vendredi
19 mai 2017.
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